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Casablanca – Dubai : un dualisme légal et réglementaire pour la promotion des investissements étrangers
L’analyse comparée entre deux systèmes juridiques conceptuellement et géographiquement éloignés l’un de l’autre n’est pas chose aisée, notamment lorsque qu’il s’agit d’examiner certains aspects légaux et réglementaires de nature dérogatoire qui s’appliquent dans des places financières de premier plan aux niveaux régional ou continental. A titre d’illustration, les plateformes retenues pour effectuer cette analyse juridique comparative sont les places emblématiques de Casablanca Finance City (« CFC ») et Dubai International Financial Centre (« DIFC »). L’objectif commun de ces deux centres est bien entendu d’attirer les investissements directs et indirects étrangers qui visent des activités économiques stratégiques notamment dans les services.
Un premier élément de comparaison pourrait être de manière sommaire basé sur le niveau des investissements internationaux dans chacun des deux pays concernés. Ce serait à priori un indice de degré de sécurité juridique d’autant plus élevé que la quantité et la qualité de mêmes investissements sont substantiels.
Toutes choses égales par ailleurs, les dernières statistiques de la Commission des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED/UNCTAD) établies dans sa publication World Investment Reporter de 2024 montrent que les Emirats Arabes Unis (« E.A.U. ») connaissent un niveau record d’investissements nets internationaux qui sont environ 30 fois supérieur à ceux du Maroc, s’élevant à 30 milliards de US dollars en 2024. Faut-il de ce fait considérer en particulier que le cadre légal et réglementaire applicable aux investissements aux E.A.U. est nettement plus favorable que son équivalent marocain ?
Les chiffres sont têtus mais il faudrait sans doute aller vers plus de détails au niveau qualitatif pour relever les différences ou les similitudes. Le terrain d’expérimentation pour effectuer une telle appréciation est tout indiqué avec les deux places financières précitées que sont CFC et DIFC.
1. Le cadre légal des investissements étrangers dans les places financières de Casablanca et de Dubaï
1.1. Des législations d’opportunité
Depuis une trentaine d’années, le Maroc a profondément réformé et modernisé le droit des affaires avec notamment la mise en œuvre de deux chartes d’investissement successives en novembre 1995 et en décembre 2022. Cette dernière dénommée loi-cadre n° 03-22 formant charte de l’investissement, a permis la refonte la loi précédente avec, sans surprise, des modalités plus adaptées aux évolutions économiques et sociales au niveau local et international.
Elle permet aussi de revaloriser l’attractivité du Royaume pour l’investissement privé avec notamment des dispositifs de soutien spécifique aux projets d’investissement à caractère stratégique tels que définis par le nouveau modèle de développement qui a été publié en 2021 et qui repose sur la mobilisation des partenariats internationaux et leur composant naturel que sont les investissements privés.
Cet ensemble est naturellement complété d’un arsenal juridique, fiscal, douanier, financier très précis qui bénéficie à des secteurs hautement capitalistiques comme les énergies renouvelables, l’industrie automobile ou l’industrie aéronautique qui connaissent des records sans précédents d’investissements internationaux avec des performances à l’export inespérées.
Dans ce même sens et pour davantage valoriser les considérables ressources naturelles combinées pour la production de l’hydrogène vert et de ses dérivés, le gouvernement marocain a publié en mars 2024, une note circulaire largement médiatisée à l’international dénommée « l’Offre Maroc pour le développement de la (des) filière(s) de l’hydrogène vert ». Il est à noter que le contenu de ce texte qui n’est pas d’origine législative peut être assimilé dans ses aspects organisationnels et fonctionnels à un véritable code d’investissement sectoriel qui engage fortement l’Etat marocain vis-à-vis des investisseurs dans cette industrie énergétique d’avenir.
Plus particulièrement dans la place financière de CFC qui dispose notamment d’un cadre réglementaire favorable aux activités transfrontières spécifiquement vers le continent africain, des entreprises multinationales comme AstraZeneca qui est réputé dans le domaine pharmaceutique ou le conglomérat industriel japonais Marubeni Corporation ont récemment établi leur sièges régionaux respectifs à CFC. Aussi des entreprises de taille mondiales dans le domaine des services comme Lloyd’s, Allianz ou Thomson Reuters ont pareillement choisi cette option.
1.2. La fin de l’ère des sponsors
De l’autre côté, les E.A.U. ont par une décision fortement symbolique, promulgué une loi fédérale sur les Investissements Directs Étrangers en 2018. Cette loi a permis de mettre fin à la fameuse obligation incombant aux investisseurs étrangers de s’associer avec un « sponsor » du pays d’accueil, autorisant de ce fait la détention étrangère jusqu’à 100 % dans certaines activités désignées dans une liste pour réguler et encourager les investissements étrangers. Cette « Positive List, » vise en particulier les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle, les transports et la logistique, les énergies renouvelables, l’industrie manufacturière, l’agriculture et l’espace. Inévitablement, ces secteurs d’activité bénéficient de nombreux privilèges de même nature que ceux applicables au Maroc mais avec des spécificités juridiques atypiques et innovantes lorsqu’elles sont entreprises à travers DIFC ou encore dans certaines célèbres zones franches telle que Jbel Abou Ali qui est dédiée à l’industrie et au commerce.
En ce qui la concerne, DIFC a fait la part belle aux grandes entreprises de service et en particulier de trading de dimension internationales comme Edmond de Rothschild, EnTrust Global, Nomura Singapore Limited, The Family Office Company qui bénéficient il faut le signaler d’un écosystème financier de rang mondial établi à Dubai.
2. Les distinctions spécifiques entre CFC et DIFC
2.1. Common law Vs droit continental?
CFC et DIFC partagent une volonté politique affirmée de favoriser la liberté d’investissement et de la protéger dans la plupart des secteurs économiques. Les priorités affichées sont de garantir les droits des investisseurs contre l’expropriation et de leur assurer le libre rapatriement des bénéfices et des capitaux investis.
Une différence de taille réside dans le choix fait par les autorités des E.A.U et spécifiquement par celles de l’Emirat de Dubai d’octroyer conformément à la loi n°12 de 2004 aux zones franches financières ou commerciales la possibilité d’appliquer le common law avec des juridictions de première instance et d’appel ainsi que celles d’exécution des jugements qui fonctionnent dans le cadre de l’institution dédiée qui est dénommé DIFC – Courts.
2.2. Le règlement des litiges
Il est aussi à noter qu’à ce titre, ces deux places financières disposent de centres d’arbitrage de dimension internationale comme le Centre International de Médiation et d’Arbitrage de Casablanca (CIMAC) et de Dubai International Arbitration Centre (DIAC). Néanmoins, il est à noter que le DIAC jouit d’une renommée internationale bien installée à la différence du CIMAC – institué en 2016 – qui peine encore aujourd’hui à devenir un centre régional ou continental africain en raison de difficultés à réaliser son plan d’action, d’une communication défaillante et peut être aussi de certaines craintes formulées par la communauté des affaires internationales, particulièrement sur les potentielles implications des règles de droit marocain de l’arbitrage tel que définies dans le texte de loi n° 95-17 du 31 juin 2022 et qui peuvent impliquer naturellement les juridictions civiles ou commerciales marocaines.
De plus, le DIAC applique les règles d’arbitrage du DIFC qui sont basées sur le common law tandis que le CIMAC applique généralement des règles et des principes juridiques différents en fonction des accords entre les parties impliquées dans l’arbitrage. La différence entre CFC et DIFC repose sans doute sur l’attrait naturel des juristes d’origine anglo-saxonne vers les places où le common law est dominant et sur la négociation et la rédaction généralisée en langue anglaise des contrats internationaux.
Toutefois, en matière de litiges se rapportant à la fiscalité, les deux juridictions n’autorisent pas encore l’arbitrabilité de ce type de contentieux qui relève donc des autorités fiscales concernées et des juridictions judiciaires compétentes. Il n’en demeure pas moins que l’autre mode alternatif de règlement de différends notamment dans le domaine fiscal qui est la médiation est plébiscité autant par les administrations fiscales que par les contribuables dans les deux juridictions (Cf. l’article de Khalil Haloui sur les accords amiables : Une clé pour éviter la double imposition au Maroc), les forums d’arbitrage et de médiation dans chacune des places financières étant parfaitement désignés pour la tenue de procédures de ce type.
2.3. Des juristes à l’affut
Il est aussi important de souligner le nombre remarquable de cabinet d’avocats internationaux de renom qui ont pu s’installer à Dubai et particulièrement dans le DIFC, avec la possibilité de représenter leurs clients devant les juridictions de cette place financière avec le relai d’avocats étrangers spécialisés en common law qui n’auraient bien entendu pas obtenu d’équivalence professionnelle avec leur pays d’origine.
Casablanca et spécifiquement CFC attire pareillement de nombreux cabinets d’avocats internationaux mais qui ne peuvent représenter es qualité leurs clients devant les juridictions judiciaires. Il s’agit d’une différence majeure entre les deux places financières examinées, la première formant un espace de dimension juridique et judiciaire de nature extra territoriale établi dans la juridiction de l’Emirat de Dubai et la seconde restant malgré tout très perméable au système de droit marocain.
En ce qui concerne la réglementation des changes, les deux monnaies que sont le Dirham Marocain ou le Dirham Emirati bénéficient d’une convertibilité confirmée pour les besoins de commerce et d’investissements. Cependant et du point de vue de la législation fiscale, les revenus issus d’investissements effectués au Maroc par des étrangers, tels que les dividendes et les intérêts, sont soumis à une retenue à la source significative alors qu’ils sont exonérés de ces droits aux EAU ainsi que dans les places off-shore comme le DIFC (Cf. l’article de Mounir Rguig : Dubaï vs Casablanca : un dilemme d’investissement entre deux hubs économiques dynamiques sur les questions fiscales comparées dans les places financières de CFC et de DIFC).
2.4. De la régulation des activités
Enfin et de manière particulière, le contrôle des activités des établissements financiers établis au sein de CFC et de DIFC, les premiers sont directement soumis au contrôle des deux autorités marocaines de régulation au niveau national que sont Bank al Maghrib et l’Autorité Marocaine des Marchés des Capitaux alors que pour les seconds, une autorité dédié instituée en 2004 au sein de DIFC dénommée Dubai Financial Services Authority (DFSA) exerce simultanément ce rôle de régulation des activités des banques, des compagnies d’assurance ou des établissements boursiers notamment.
Cette distinction marque incontestablement l’écart important entre la quasi-autonomie de la régulation et de la mise en œuvre des compétences juridictionnelles au sein de DIFC. A contrario, les instruments de contrôle de conformité des acteurs financiers actifs du CFC relèvent d’autorités centrales de l’Etat avec un interventionnisme manifeste du système judiciaire marocain qui n’a pas encore réussi sa mue pour statuer en particulier sur des contentieux d’investissements internationaux complexes, faisant référence à des principes ou à des notions de droit anglo-saxon.
2.5. Le juridique, un dérivé de l’économique et du fiscal
Sur la base de ce qui précède – et qui ne repose sans doute pas sur une analyse exhaustive des aspects juridiques et réglementaires liés aux activités des deux places financières étudiées – il semble bien que le DIFC bénéficie d’un cadre juridique et réglementaire plus développé et d’une réputation internationale plus établie que ceux du CFC. Le choix que pourrait faire un investisseur international entre ces deux places financières dépendrait des objectifs spécifiques qu’il définirait avec une mesure particulière des risques juridiques qu’il pourrait encourir avec ses partenaires locaux éventuels dans la mise en œuvre de leurs engagements contractuels ou en en cas de contentieux.
Une illustration symptomatique de la comparaison entre les places financières de Casablanca et de Dubai est celui d’un choix stratégique effectué par groupe Chinois Gotion qui est une entreprise de production de batteries pour véhicules électriques. Cette entreprise a préféré établir son siège régional à DIFC et alternativement au Maroc, elle a entrepris dès 2024 un projet de création d’une gigafactory de batteries électriques pour un investissement global de près de 7 milliards de dollars. Il y a de fortes chances que les critères fiscaux et légaux de DIFC l’aient emporté sur ceux de CFC, sans que cela n’ait entaché l’attrait du Maroc en tant que place d’investissement sécurisée et rentable.
Il n’en demeure pas moins que s’il fallait trouver un dénominateur commun encourageant en ce qui concerne les deux places financières, c’est bien celui du respect des exigences d’intégrité et de conformité des règles établies qui sont en corrélation avec les mesures universelles prises pour faire face notamment aux flux illégaux de moyens financiers.
D’une manière pratique, l’appréciation par un investisseur international de l’élément légal et réglementaire lié un une place financière comme CFC ou DIFC est sans doute nécessaire pour autant que les paramètres économiques et fiscaux liés à son projet de dimension internationale sont favorables, l’ensemble à la lumière de l’envergure géographique de l’investissement qui aurait été envisagé.
A titre d’exemple, un investissement programmé par un investisseur de culture anglo-saxonne avec une orientation vers des pays du sous-continent austral de l’Afrique ou des pays du Sud de l’Asie serait favorablement accueilli dans le DIFC pour les motifs indiqués ci-avant, par contre et dans le cas d’un investissement identique à réaliser dans les pays africains de droit continental comme les dis sept pays de l’OHADA ou les cinq pays d’Afrique du Nord, le choix de CFC qui a une vocation africaine affirmée devrait l’emporter.
Tout est une question d’adéquation entre de multiples critères pour l’élection de la place financière idoine qui peuvent se heurter parfois mais qui se terminent bien souvent par un nécessaire arbitrage entre ce qui est raisonnable et ce qui serait ambitieux voire hasardeux.