Prendre rendez-vous

La fiscalité marocaine des contrats internationaux : Les contrats commerciaux internationaux
La fiscalité marocaine des contrats internationaux :
- Partie 1 : Les contrats commerciaux internationaux.
- Partie 2 : Les contrats d’investissements internationaux.
Les phases de formation, de mise en œuvre puis de cessation des contrats internationaux impliquent nécessairement la prise en considération des impacts fiscaux obligés lors de ces différentes périodes des relations contractuelles entre les parties contractantes. A ce titre, l’élément de référence qu’il s’agirait d’observer avec attention lors des trois stades précités se rapporte aux flux financiers liés à l’opération économique sous-jacente. Aussi, la réalité économique d’une transaction commerciale ou d’investissement qui aurait été juridiquement dénommée d’une manière inadaptée pourrait conduire à une requalification fiscale très dommageable à l’ensemble contractuel, visant en particulier des considérations financières inattendues sur les droits et les obligations des parties concernées. De ce fait, la transaction commerciale ou l’opération d’investissement risquent de prendre une dimension financièrement périlleuse.
L’approche analytique choisie pour réaliser la présente étude est basée sur quelques contrats choisis à titre d’illustration avec l’examen de l’impact fiscal éventuel de certaines clauses du contrat international sur les parties contractantes, conformément aux dispositions fiscales applicables dans des juridictions différentes, notamment celles d’origine marocaine qui semblent avoir atteint un niveau de sophistication considérable. D’une manière générale, les contrats internationaux liés au commerce et aux investissements sont régis selon toute juridiction concernée par un cadre fiscal complexe qui combine le droit interne y compris les conventions internationales lorsqu’elles priment sur ce droit précité et les pratiques administratives qui forment ce qui peut être communément dénommé la doctrine fiscale.
Contrats commerciaux Vs contrats d’investissements
Une distinction est cependant nécessaire à effectuer entre les deux principaux types de contrats internationaux que sont d’abord ceux liés au commerce international ensuite ceux qui portent sur l’investissement international. Cette différenciation n’est pas aisée puisque d’une part, les règles applicables aux contrats de commerce international de biens ou de services relèvent du droit choisi par les parties ou des règles de conflit de lois en cas de contentieux, mais aussi de l’ensemble des règles de droit d’origine privée formant la lex mercatoria qui réfère par exemple aux incoterms, aux règles uniformes applicable à différents modes de paiements comme le crédit documentaire, à la convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises et sans autres limitations aux remarquables principes UNIDROIT de 2016 applicables aux contrats de commerce international.
D’autre part, les contrats d’investissements internationaux qui sont conclus entre des investisseurs privés ressortissants de différents pays ou entre des investisseurs privés et des Etats ou des personnes publiques engendrent bien souvent l’application de règles de droit international public nées de conventions internationales bilatérales ou multilatérales de protection des investissements avec des mécanismes spécifiques de règlement des différends, qui forment à travers les sentences arbitrales rendues notamment par des institutions arbitrales renommées comme le Centre International de Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI) ou la Cour Internationale d’Arbitrage de la Chambre de Commerce International (ICC) , une source de droit jurisprudentiel très riche et utile pour la bonne compréhension en particulier des grands principes de droit applicables à ces opérations commerciales ou d’investissements. L’ensemble de ces observations générales précitées pose aux praticiens du droit et de la fiscalité un véritable défi qu’il faudrait sans doute parvenir à bien mesurer pour tenter par la suite de le relever.
D’une manière pratique et pour tenter de mener à bien la présente étude sur des cas pratiques impliquant une partie marocaine, la fiscalité des contrats internationaux présente des particularités importantes à prendre en compte lors de la négociation et la rédaction de ces contrats commerciaux ou d’investissement. Toutes choses égales par ailleurs, l’objectif global recherché est double puisqu’il s’agit d’abord d’examiner comment le droit fiscal marocain appréhende les contrats commerciaux et les contrats d’investissement internationaux, pour ensuite mesurer l’impact du choix de la loi applicable ou même de l’absence de cette désignation sur lesdits contrats internationaux mettant en jeu des intérêts marocains.
Partie I — LES CONTRATS COMMERCIAUX INTERNATIONAUX
La diversité sans limite des contrats commerciaux innomés qui sont dès lors non régis par un dispositif légal précis l’emporte sur les contrats nommés comme le contrat de vente ou le contrat de louage d’ouvrage ou de louage de services. Les deux exemples choisis qui serviraient d’illustration intéressante pour mener à bien cette réflexion en matière de droit marocain sont d’abord l’emblématique contrat de vente internationale de marchandises incluant des règles commerciales internationales comme celles relatives à l’incoterm DDP « Duties Due Paid » (International Commercial Terms de la Chambre de Commerce International : ICC – incoterms ICC 2020) et les règles et usances uniformes applicable au crédit documentaire (Règles ICC, brochure 600), ensuite un contrat de distribution exclusive de produits et de services sous la forme d’une franchise internationale qui comporte notamment le paiement par le franchisé au franchiseur de redevances dénommées royalties assujetties bien entendu à un régime fiscal précis.
Une fiscalité à géométrie variable
L’application de la fiscalité diffère selon que la partie marocaine est par exemple importatrice de produits ou de services, notamment lorsque des règles spécifiques et dérogatoires sont applicables dans le cadre de conventions préférentielles conclues entre l’Etat marocain et d’autres Etats dont ressortent les contreparties exportatrices de des produits et services précités, dans les domaines du commerce, des investissements ou de la fiscalité. Une Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) dont le taux de droit commun est de 20% serait normalement appliquée et des droits de douane seraient calculés selon la nomenclature applicable sur les marchandises importées. Pour les services importés, une Retenue A la Source (RAS) qui est généralement de 10% serait effectuée sur les paiements transfrontaliers relatifs aux redevances en particulier. En matière d’exportation, les entreprises marocaines bénéficient d’avantages fiscaux considérables pouvant conduire à une exonération partielle ou totale sur les bénéfices tirés de ces opérations à l’export. Cependant, la taxation dans le pays de livraison des produits ou services est à considérer et de la même façon, les taux des droits applicables varient aussi en fonction des dispositions prises par les autorités fiscales et douanières étrangères.
L’aggravation du traitement fiscal
Aussi, le traitement fiscal des opérations précitées pourrait être d’une autre dimension dans le cas où ces mêmes transactions seraient conclues d’une manière régulière et constante dans des conditions financières suspectes entre des entités appartenant à un même groupe international. Ces opérations pourraient déclencher en cas de contrôle fiscal le redressement des bases imposables avec des pénalités fiscales très préjudiciables à la partie contractante concernée (Cf. Khalil Haloui, Le guide ultime des prix de transfert au Maroc pour les entreprises internationales ). Par ailleurs, une entreprise étrangère qui viendrait à fournir des prestations de services à une entreprise marocaine dans les conditions qui correspondraient à la définition de l’établissement stable tel qu’elle serait précisée dans une Convention de non Double Imposition (CDI) entre les pays dont ressortent les parties contractantes, pourrait se voir imposer des impôts sur les bénéfices réalisés et principalement l’impôt sur les sociétés selon les taux de droit commun, avec toutefois la possibilité d’atténuer le coût fiscal selon les modalités prévues de cette même convention. Dans le même sens, il est possible que les paiements de redevances pour l’utilisation d’une technologie ou d’un savoir-faire soient requalifiés en prestations de services par l’administration fiscale, entraînant un taux d’imposition différent plus pénalisant.
Le cas spécifique des contrats de franchise commerciale internationale par lesquels le franchiseur généralement étranger exige le paiement de royalties périodiques basées sur le chiffre d’affaires brut réalisé par le franchisé local pose la question de la fiscalité locale appliquée à un tel transfert, notamment la retenue à la source à laquelle devrait procéder la banque domiciliataire pour effectuer le transfert bancaire sur instruction de son client. Généralement, une clause contractuelle dite Gross-up clause est incluse afin que le franchiseur puisse percevoir l’entièreté du montant des royalties contractuelles sans souffrir de toute retenue à la source applicable dans le pays de résidence du franchisé. Ce type de contrats requiert souvent du franchisé de tenir une comptabilité sur ses activités commerciales conforme aux normes étrangères prescrites par le franchiseur, ce qui ne manque pas de soulever des difficultés quant à la détermination de la valeur des redevances ou « royalties » qui sont principalement calculées sur les ventes réalisées par le franchisé. Ainsi, toute incohérence entre les composantes comptables et fiscales liées au chiffre d’affaires réalisé par le franchisé pourrait conduire à des frictions avec l’administration fiscale lors de contrôle de la comptabilité du franchisé.
Un des risques fiscaux et pas des moindres portes sur la requalification fiscale contrat de franchise internationale par les services des impôts en contrat de société ou même en contrat de travail du fait d’une trop forte et permanente ingérence du franchiseur dans la gestion commerciale et financière du franchisé. En effet, les impositions au titre d’une activité sociétaire ou de prestations de louage de services vont bien au-delà de celles appliquées à de simples opérations de vente commerciale et elles prennent une dimension critique lors de la phase de cessation d’activités entre les parties contractantes.
Le contrôle juridique des effets fiscaux
Un des points importants à considérer porte sur la rédaction juste et appropriée des clauses essentielles des contrats commerciaux internationaux sur le fondement d’une très bonne compréhension des règles applicables à ces contrats qui relèvent naturellement de la loi applicable, qu’elle ait été choisie ou non déterminée par les parties contractantes mais aussi des règles commerciales internationales d’origine privée formant la lex mercatoria qui peuvent induire des conséquences juridiques et fiscales très importantes sur la mise en œuvre de ces contrats.
Ainsi, la rédaction des clauses de contenu fiscal ou à effet fiscal dans les contrats commerciaux internationaux devrait assurer une répartition claire et précise des obligations fiscales entre les parties contractantes pour notamment éviter tout risque d’aggravation de la charge fiscale comme par exemple une double imposition mais aussi pour organiser et anticiper les conséquences de possibles changements des législations fiscales lorsque ces contrats doivent être exécutés sur des durées moyennes ou longues.
Le dilemme du choix des termes contractuels
Le cas typique du contrat commercial international de fourniture de produits miniers par un exportateur marocain sur une durée moyenne de trois années qui inclurait l’incoterm Delivery Duty Paid (DDP) ou traduit en langue française « rendu tous droits acquittés » avec un paiement par lettre de crédit irrévocable et confirmée exigée par la partie marocaine, soulève de nombreuses questions juridiques qui peuvent chacune conduire à des conséquences fiscales imprévues et qui peuvent être préjudiciables à l’opération d’exportation envisagée.
La clause DDP signifie que l’exportateur doit livrer la marchandise aux dates contractuelles à ses frais tout en assumant l’intégralité des risques liés au transport puis au transfert de la marchandise en faveur de l’importateur jusqu’au lieu de destination indiqué par ce dernier dans le pays d’importation. L’exportateur marocain doit en plus prendre en charge toutes les formalités portuaires et douanières avec le paiement de tous les droits et taxes applicables y compris la TVA locale s’il y a lieu. Une lecture attentive de l’incoterm DDP tel que défini dans la version 2020 (ICC) qui retrace les 10 principales obligations du vendeur dont notamment la A9 – e par laquelle il est précisé que « le vendeur doit payer : le cas échéant, les droits, taxes et tous les autres coûts relatifs au dédouanement,… », fait penser qu’à l’inverse d’une littérature professionnelle abondante, le paiement des droits et taxes par le vendeur n’est pas certain et qu’il dépend de la volonté des parties contractantes. Il n’en demeure pas moins que l’usage fait porter au vendeur cette obligation de payer les droits et taxes dans le pays de l’acheteur.
Cette ambivalence est un risque juridique et fiscal majeur que la partie qui en supporterait les conséquences devrait bien évaluer avant de s’engager dans le choix de cet incoterm. D’une manière générale, tous les coûts qui devraient être supportés par l’exportateur dans cadre d’une vente DDP devraient être parfaitement identifiés et calculés pour les inscrire en détail dans sa facture pro-forma et les faire supporter dans leur entièretéà l’importateur dans la facture finale. Dans le même sens, le contrat de vente internationale devrait aussi inclure une clause d’imprévision connue sous la dénomination de clause de hardship qui permettrait aux parties de renégocier le contrat si un événement imprévu venait à modifier l’équilibre économique du contrat notamment en cas de modification des lois fiscales impactant les coûts ou les bénéfices des parties.
La requalification contractuelle
Toutefois, il est très important de noter qu’en réalisant l’ensemble des prestations ci-avant mentionnées incluant le chargement et le transport de la marchandise, la souscription éventuelle d’une police d’assurance pour couvrir le risque d’avaries ou de perte de la marchandise, le vendeur acquière la qualification juridique de mandataire de l’acheteur puisqu’il qu’il effectue ces opérations complémentaires à l’acte de vente au nom et pour le compte de son mandant qui est l’importateur. De plus et considérant qu’il s’est engagé à réaliser l’ensemble de ces prestations sur une durée relativement longue du fait de livraison successives, il n’y a plus aucun doute que l’exportateur, qui avait au titre de ses obligations originelles de simplement produire et livrer la marchandise, acquiert au sens fiscal du terme le statut d’établissement stable dans le pays de l’importateur avec une obligation d’inscription aux impôts locaux notamment ceux relatifs aux bénéfices sur les sociétés et la TVA, avec toutefois une possible atténuation dans le cas de l’existence d’une CDI entre son pays d’origine et la juridiction de l’importateur. Il est indéniable que les conséquences fiscales deviennent toutes autres que celles initialement envisagées dans le contrat de vente internationale et l’économie entière de l’opération considérée initialement pourrait sérieusement être remise en cause.
Les difficultés augmenteraient davantage s’il faut considérer par exemple que l’exportateur ait exigé de l’importateur l’émission d’une lettre de crédit irrévocable et confirmée lui permettant d’obtenir le paiement de chacune de ses expéditions de marchandises dès la remise de documents conformes à la banque confirmatrice du crédit documentaire. Ce montage contractuel dual avec un incoterm DDP et la lettre de crédit mentionnée pourrait créer un véritable imbroglio juridique et fiscal puisque le vendeur bénéficierait du paiement du prix par l’acheteur bien avant la réalisation effective des prestations au titre de l’incoterm précité. La mutation de la propriété de la marchandise qui aurait lieu en fonction de la loi applicable au contrat de vente, sauf accord contraire entre les parties, induirait l’application de droits et taxes dont la TVA au moment du paiement par la banque confirmatrice de la lettre de crédit alors que les obligations liées à l’incoterm DDP et notamment celles qui sont de nature fiscale n’auraient pas encore été réalisées par le vendeur.
Mutadis mutandis, une analyse fiscale équivalente dans l’approche mais inverse dans ses conséquences devrait être considérée par l’importateur étranger dans le cas où l’exportateur marocain exigerait une vente selon l’incoterm EXW (Vente à l’usine) et pour laquelle l’importateur étranger s’engage à se rendre dans les locaux industriels de l’exportateur marocain pour prendre livraison de la marchandise, selon les mêmes modalités, mais interverties entre les parties contractantes. Il convient aussi de préciser que le recours à des prestataires de services comme les transitaires autant par les exportateurs que par les importateurs n’exonèrerait pas ces derniers de risques fiscaux tels qu’évoqués précédemment, à titre d’illustration uniquement.
D’une manière générale, l’anticipation des risques fiscaux ainsi que des coûts qui pourraient en résulter devraient être reflétés lors des phases de négociation des contrats commerciaux internationaux. Une analyse précontractuelle incluant une revue fiscale complète particulièrement au niveau des juridictions des parties contractantes à l’étranger avec une considération attentive aux dispositions des CDI, s’ils existent, est essentielle pour sécuriser les coûts fiscaux liés à l’opération commerciale envisagée. La technique contractuelle usuelle pour essayer de contrecarrer toute incidence fiscale imprévue dans la documentation contractuelle serait d’inclure des clauses de renégociation pour adapter le contrat aux évolutions du cadre fiscal international.
Le choix de la loi applicable et ses implications fiscales
Il est entendu qu’en vertu du principe internationalement reconnu de la souveraineté fiscale des Etats et nonobstant la liberté contractuelle dont bénéficient les parties à un contrat international pour déterminer notamment la loi applicable à leur contrat, une clause de droit applicable au contrat de vente internationale différente de celle du pays dans lequel de tels droits et taxes sont applicables ne peut déroger au droit interne sauf convention fiscale entre les pays dont ressortent les parties contractantes.
En cas de litige fiscal entre les parties contractantes, il serait nécessaire de vérifier au préalable les dispositions légales applicable dans le pays d’exécution dudit contrat afin de trancher le litige selon le mode de règlement choisi, qu’il soit judiciaire ou arbitral. Aussi, il faudra d’abord tenir compte du lieu de la juridiction élue ou de celui auquel se référerait éventuellement la clause d’arbitrage international, pour considérer la juridiction dans laquelle un jugement judiciaire définitif ou une sentence arbitrale devraient être exécutés selon la formule de l’exéquatur. A cet égard, certaines juridictions comme la marocaine ne reconnaissent pas pour des motifs d’ordre public un règlement de litige fiscal hors des juridictions. Il n’en demeure pas moins que les litiges portant sur des questions purement financières liées par exemple à un engagement d’origine fiscale peuvent à priori être résolu notamment par la voie de l’arbitrage.
En conclusion, le choix de la loi applicable à un contrat commercial international impliquant une partie marocaine doit intégrer une réflexion approfondie sur les aspects fiscaux. Une approche proactive et une rédaction soignée des clauses fiscales ainsi que des termes et conditions contractuelles pouvant avoir des effets fiscaux directs ou indirects permettraient de sécuriser le traitement fiscal des opérations et d’optimiser la charge fiscale globale du contrat international.
test messagerie TC 16 Mai 2025